Les démarches bas carbones donnent une nouvelle jeunesse au linoléum, matériau biosourcé à 97 %. Sera-t-il un produit phare du bâtiment de demain, ou une solution parmi d’autres, concurrencée par l’émergence de PVC réformés suivant des logiques environnementales ?
Expérimentaux et confidentiels jusqu’au début des années 2000, les matériaux biosourcés paraissent incontournables à l’heure où la transition écologique gagne le secteur du bâtiment. Dans l’enveloppe, par exemple, le volume d’isolant biosourcé a cru de 40% entre 2012 et 2016. Parti de presque rien, ce marché ne peut que se développer de façon spectaculaire.
Porté par un contexte réglementaire favorable, l’essor des matériaux biosourcés ne sera pas qu’un simple feu… de paille !
Le code de la construction intègre depuis 2012 un label réglementaire Bâtiment biosourcé (décret n° 2012-518 du 19 avril 2012), applicable à tout type de bâtiment non résidentiel, public ou privé neufs. Un label « produit biosourcé » est lancé en 2017 par le BET environnemental Karibati. La Loi ELAN introduit à partir de 2018 des exigences de stockage carbone favorisant cette classe de matériau, tout comme le label E+C -, préfigurant la future réglementation RE 2020 applicable à partir du 1er janvier 2022. Tenues de produire un bilan, les maîtrises d’œuvre vont devoir recourir largement aux produits bas carbone. Peu épais, les revêtements de sol ne sont pas les puits de CO2 les plus profonds.
« Leur poids dans le bilan carbone d’un bâtiment n’influe que de 4 à 5 % sur la notation globale. Le choix d’un revêtement biosourcé peut malgré tout permettre de trouver ces quelques tonnes de GES (gaz à effet de serre) qu’il restait à économiser », explique Julien Thimonier, chef de marché Bâtiment et Sport chez Gerflor.
Le rythme élevé de renouvellement des sols souples, et notamment des moquettes, parfois changées à chaque signature de bail, a un impact sur le bilan carbone, rappelle Cédric Charton, responsable QSE chez Balsan « lors de la rédaction de nos FDES, nous avons été surpris de voir que si le béton occupe la première place en termes d’émissions de GES, les sols textiles figurent dans le peloton de tête ! Car le calcul de l’empreinte carbone à l’échelle du bâtiment est réalisé pour une durée de vie de 50 ans, alors que la durée de vie typique pour la plupart des revêtements de sols textiles est de 10 ans, il faut donc multiplier leur valeur décennale par 5 ! ».
Nouveauté ou retour ?
En matière de revêtement de sol, le biosourcé est loin d’être une nouveauté. Sans parler des parquets bois, qui accèdent au statut d’élément décoratif dès le XVIIe siècle, voilà plus de cent cinquante ans que l’on utilise le linoléum, qui représente aujourd’hui l’essentiel de l’offre biosourcée en sol souple. Mélange d’huile de lin, bois et liège et de pigments montés sur toile de jute, cet ancêtre du PVC constitué de 97 % de matières naturelles est très apprécié des maîtrises d’œuvre et des maîtrises d’ouvrage, séduites par son aspect noble et environnemental. « Le secteur de l’éducation reste le domaine de prédilection du linoléum en France. Les avis techniques permettent son application aux pièces jusqu’au locaux E2 (pièces humides) avec une mise en œuvre adéquate, même si l’exemple d’autres pays montre que l’on pourrait envisager son utilisation au-delà de ce type de locaux », détaille Valérie Druart, chef de segment santé et éducation chez Forbo Flooring System.
Selon le domaine d’utilisation, sa composition naturelle véritable atout du linoléum, peut restreindre son emploi.
« Nous préconisons de privilégier le bon produit par rapport à son usage. Par exemple, du fait de sa composition, il n’est pas compatible avec les programmes hospitaliers, où l’on préfère les sols PVC étanches et résistants à des produits d’entretien agressifs, tandis que sa relative rigidité complique l’exécution de certains détails techniques, comme les remontés en plinthe », relate Daphné Astaix, directrice marketing & technique chez Tarkett.
Dans le logement, le linoléum bute sur des problématiques de prix. « Le choix d’un revêtement de sol biosourcé doit aussi se faire en accord avec les applications et en accord avec le classement QB UPEC du CSTB. Dans les logements collectifs, il est par exemple plus difficile d’installer un linoléum dans les parties d’un logement sans faire de la sur-qualité », constate Thimonier.
Bien que la part de marché du linoléum soit dix à quinze fois moins importante que celle des sols PVC, tous les grands fabricants sont en mesure de faire une offre. « Nous proposons des revêtements de sols en dalle, lames et en lé, avec 3 épaisseurs 2 mm, 2.5 mm et 3.2 mm selon les coloris, complétés d’une version acoustique, avec des solutions décoratives, pour créer des panneaux d’affichage et habiller les meubles », énumère Valérie Druart. Gerflor a racheté le fabricant de linoléum DLW, qu’il distribuait déjà, Tarkett compte 12 collections dans ses gammes. Les possibilités de décors sont limitées. Il ne faut pas s’attendre à retrouver les références imitation béton du PVC, mais plutôt des tons unis ou marbrés. Une simplicité appréciée, note Daphné Astaix, car elle correspond à l’idée du produit naturel.
Dans le logement, le linoléum bute sur des problématiques de prix. « Le choix d’un revêtement de sol biosourcé doit aussi se faire en accord avec les applications et en accord avec le classement QB UPEC du CSTB. Dans les logements collectifs, il est par exemple plus difficile d’installer un linoléum dans les parties d’un logement sans faire de la sur-qualité », constate Thimonier.
Bien que la part de marché du linoléum soit dix à quinze fois moins importante que celle des sols PVC, tous les grands fabricants sont en mesure de faire une offre. « Nous proposons des revêtements de sols en dalle, lames et en lé, avec 3 épaisseurs 2 mm, 2.5 mm et 3.2 mm selon les coloris, complétés d’une version acoustique, avec des solutions décoratives, pour créer des panneaux d’affichage et habiller les meubles », énumère Valérie Druart. Gerflor a racheté le fabricant de linoléum DLW, qu’il distribuait déjà, Tarkett compte 12 collections dans ses gammes. Les possibilités de décors sont limitées. Il ne faut pas s’attendre à retrouver les références imitation béton du PVC, mais plutôt des tons unis ou marbrés. Une simplicité appréciée, note Daphné Astaix, car elle correspond à l’idée du produit naturel.
Une pénurie de poseurs
Il n’y a pas d’offre linoléum pour le grand public. Le produit s’adresse à un marché professionnel, et même dans ce secteur, il reste un produit de niche. Peu de soliers savent affronter les particularités d’un matériau exigeant, « cassant, vivant, témoigne Jean-Marie Raynaud, fondateur-gérant de STAP Dordogne, une entreprise périgourdine spécialisée dans les travaux de sols et de peinture. Il faut le laisser prendre la température de la pièce, le travailler plus doucement ».
La main-d’œuvre qualifiée manque. Jean-Marie Raynaud travaille avec son fils Pierre, qui a appris les techniques sur des chantiers bordelais, au contact de quatre compagnons dont la plupart ont maintenant pris leur retraite. « Il faut cinq années pour maîtriser le revêtement, apprendre à employer les produits à bon escient, les stocker, les mettre en place, savoir les découper au trusquin, un outil propre au linoléum qu’on ne retrouve pas dans le PVC », relate Pierre Raynaud qui lance un appel à la formation de soliers.
La pénurie de main-d’œuvre n’a pas que des mauvais côtés. Elle permet à STAP Dordogne de répondre à des appels d’offres où la concurrence est plus rare, voire d’ouvrir des marchés multi produits. La compétence est également valorisée au sein des réseaux professionnels : plusieurs chantiers de STAP Dordogne ont été fléché par la SOFREV, un réseau national d’entreprises de peintures et soliers dont Raynaud est membre.
« Nous posons en moyenne 300 m2 de sol biosourcé chaque année, ce qui représente 100 000 euros de recette sur un chiffre d’affaires de 1,4 million d’euros. Le biosourcé, c’est la cerise sur le gâteau » conclut Pierre Raynaud. Pour le développer, il faut sensibiliser les donneurs d’ordres et les acteurs de la filière.
Les industriels proposent des assistances techniques en début de chantier et des formations courtes donnant une meilleure connaissance du produit. La pose est un enjeu de taille pour l’avenir « mal mis en œuvre, un linoléum devra être changé au bout de 10-15 ans, alors qu’il peut durer le double. De quoi donner une mauvaise perception de ces produits », souligne Astaix.
À la recherche d’alternatives
« Les matériaux biosourcés sont promus aujourd’hui pour leurs avantages indéniables, car ils absorbent du CO2 lors de leur croissance, et présentent de ce fait un bilan carbone très faible sur l’étape production. Cependant, la qualité environnementale d’un produit ne dépend pas uniquement de son origine, mais se mesure sur l’ensemble de son cycle de vie (ACV). Il faut alors regarder son impact dans la mise en œuvre (pose collée ou pose libre par exemple), dans l’entretien ou dans la fin de vie en le recyclant, l’enfouissant ou l’incinérant. », relativise Thimonier.
« Nous ne voulons pas faire du biosourcé pour du biosourcé, avertit Daphné Astaix. Notre objectif reste la réduction de notre impact carbone dans une démarche d’entreprise globale ». Ce point de vue qui semble largement partagé chez les industriels. Confronté à des développements produits parallèles, le linoléum pourrait perdre bientôt sa couronne de roi des sols souples décarbonés.
« Bien avant que les biosourcés n’occupent le devant de l’actualité, nous les avons associés dans nos produits PVC, sous forme de sous-couche de liège acoustique et environnementale », explique Thimonier. Nous avons aussi dans nos portefeuilles produits biosourcés un revêtement homogène Mipolam Symbioz à base de plastifiant d’origine végétale, une gamme complète de linoléum DLW, produit biosourcé par excellence ainsi que les parquets bois Connor par exemple », explique Thimonier.
Autres solutions : l’introduction de plastifiants biosourcés et de bioéthanol en remplacement de l’éthanol d’origine fossile. Les industriels qui utilisent ces solutions, comme Tarkett, affirment prendre garde à ne pas entrer en concurrence avec l’agriculture vivrière. Pour les produits n’intégrant pas de matières biosourcées, l’introduction de matières recyclées dans la fabrication est une autre façon de réduire l’empreinte carbone. « Nos revêtements PVC ont un taux moyen de 25% de matières recyclées provenant de nos chutes industrielles ou des chutes collectées chez nos entreprises de pose dans la cadre du programme Seconde Vie. L’intégration d’1kg de PVC recyclé permet d’économiser environ 2.5kg d’émissions de CO2 », selon Thimonier.
Fibres bio et recyclées
L’analyse du cycle de vie relativise les performances des matériaux biosourcés, qui apparaissent comme une solution parmi d’autres plutôt qu’un remède absolu. La lecture des FDES (Fiches de déclarations environnementales et sanitaires) devrait renseigner sur les qualités effectives de chacun, conduisant à opter pour le bon produit au bon endroit plutôt que de le choisir uniquement en fonction de sa composition. La construction bas-carbone passe par une information plus précise sur le bilan du produit, passant par la rédaction de nouvelles FDES. « Nous avions rédigé en 2005 des FDES collectives pour nos dalles textiles, explique Cédric Charton. Depuis deux ans, nous disposons de FDES individuelles pour certains de nos produits. Ainsi, de 13,2 kg eq. CO2/m2, nous sommes passés à 6,43 kg eq. CO2/m2 sur les références
intégrant des fibres recyclées ».
Il ne faut pas croire que l’utilisation de fibre 100% recyclée permettra d’atteindre la neutralité carbone, avertit Charton. Il semble difficile de descendre sous les 2 kg/m2 du fait d’opérations diverses liées au reconditionnement. Les industriels font le pari que l’utilisation de composants recyclés couplés à l’introduction d’une portion de produits biosourcés pour la fabrication de la fibre polymère va améliorer considérablement le bilan carbone des sols textiles. Balsan s’est associé au programme de recherche EFFECTIVE lancé par Aquafil et Genomatica, étudiant la production de fibre à l’impact environnemental réduit, en combinant les deux techniques citées précédemment : le recyclage et l’ajout de bio pour les fibres neuves. Les premiers résultats sont encourageants, poursuit Charton.
L’intérêt d’un développement c’est de trouver un point durable, que ça puisse avoir un sens économique et sur une notion de solidarité, comment je récupère ce fil biosourcé. « Un enjeu de la profession, et encore plus aujourd’hui qu’hier car dès le 1er janvier 2022, les revêtements de sol seront concernés par la REP (Responsabilité Élargie des Producteurs) », conclut Charton.
Le 21e siècle sera biosourcé ou ne sera pas, dirait-on pour paraphraser André Malraux.
Source : Reflets & Nuances n°188, pages 40, 41 et 42.