Quand la peinture rend les bâtiments plus sains

Intérieur d’un hôpital

Tous s’accordent à le dire, l’enjeu de santé dans le bâtiment ne date pas d’hier. Scandales de l’amiante, de la vache folle, air intérieur jusqu’à huit fois plus pollué qu’à l’extérieur, émergence de la tendance du bio et maintenant du locavore pour vivre de manière plus saine et responsable… À tous les niveaux, les consommateurs deviennent de plus en plus exigeants.

Un peu de contexte…

« Ils veulent une traçabilité des produits. Les réglementations successives ont poussé les industriels de la peinture dans ce sens. Si la France a été la première à instaurer l’étiquetage sanitaire des produits et matériaux de construction, depuis, les fabricants vont au-delà de la réglementation », soulève Karine Giner, chef de marques Seigneurie, Marketing Marques et Distribution chez PPG. D’ailleurs, Fabrice Santamaria, directeur développement et bâtiment durable chez Unikalo s’agace : « La chimie est en permanence décriée en France. Or, elle a fait des progrès monstrueux surtout en matière de peinture ! Avec la réglementation REACH, c’est certainement un des mondes industriels les plus surveillés et les plus contraints ».

Reste que l’enjeu de préservation de la santé des occupants se tend. Dans la construction notamment. RT 2012 oblige, « à cause des feuilles de calcul et des notions de budgets, dans un bâtiment neuf sur deux, la VMC ne fonctionne pas. Et quand elle fonctionne, elle n’est pas efficace. On peut donc mettre tous les matériaux que l’on veut, l’air intérieur ne sera pas sain si le bâti n’est pas aéré ». Même son de cloche chez Onip où l’on revendique le premier brevet de peinture dépolluante en 2013 – la gamme Label’Onip’Clean’R certifiée ÉcoLabel – pour agir de manière active sur les polluants, et sans avoir recours à la photocatalyse ou aux nanomatériaux. « Souvent, ventiler pour améliorer la qualité de l’air intérieur ne suffit pas. Il est donc important de mettre en œuvre des matériaux de construction et produits de décoration qui peuvent participer à cette dépollution », prêche Patrick Verlhac, directeur technique chez Onip.

Une prise de conscience dopée par la crise sanitaire

Car désormais tout le monde le sait. Une mauvaise qualité de l’air intérieur provoque asthme, allergie, voire cancer… En France, la prise en charge de ces maladies coûterait 19 milliards d’euros chaque année, selon une étude réalisée par l’Anses. « L’OMS a déclaré les allergies au sens large comme étant la quatrième maladie chronique au niveau mondial », ajoute Philippe Hosotte, fraîchement nommé au poste de responsable innovation et développement produit chez Cromology. En outre, la crise sanitaire a encore une fois « eu un effet dopant, reprend Fabrice Santamaria. Forcément, les occupants d’un bâtiment ont pris conscience de leur santé dans leur manière de vivre et de travailler. Cette préoccupation devient si prépondérante que bientôt le développement sain va se substituer au développement durable. Peintures et revêtements ne pourront pas s’affranchir de ce phénomène quand ces lots concernent les premiers travaux réalisés à l’intérieur des logements pour un chiffre d’affaires annuel qui pèse 12,8 milliards d’euros sur le marché de la rénovation ». Un poids lourd. Mais comment répondre à la question de santé avec des peintures ?

Dépasser les réglementations existantes

« La qualité de l’air intérieur dans le bâtiment est le premier facteur d’inquiétudes et de focalisation », appuie Thierry Jeannette, Directeur Marketing Peinture Cromology. « Avec le télétravail, les gens passent de plus en plus de temps chez eux. Ils portent donc une attention particulière à leur confort intérieur ». Face à ce constat, Cromology a un parti pris. Celui de dépasser les réglementations appliquées en France. À l’Écolabel européen, cet industriel a agrégé les exigences draconiennes de deux autres : TÜV SÜD et Safe Life. En plus d’une réduction drastique des COV, cette labellisation amène Cromology à agir aussi sur les COSV (composés organiques semi-volatils), « qui vont sortir graduellement du film de peinture », explique Thierry Jeannette.

En attendant une éviction totale, ils sont déjà bannis dans la gamme Hydro de Zolpan ou Idrotop chez Tollens, qui affichent une teneur inférieure à 1 g./l. de COV, et un taux d’émission dans l’air inférieur à 300 μg / m³ mesuré à trois jours seulement quand la meilleure note (A+) de l’étiquetage en émission de la règlementation française s’obtient avec un taux inférieur à 1000 μg / m3 mesuré à 28 jours. Une piste également en cours d’exploration chez Onip. « En réduisant cette mesure des COV dans l’air qui est à 28 jours pour l’Écolabel, nous protégeons la santé des occupants qui n’attendent pas 28 jours pour réintégrer un site, mais aussi celle du peintre au moment de l’application ». Seul bémol : « cette technologie européenne est promise à un développement important mais représente un coût supplémentaire que l’intégralité du marché n’est pas encore prête à payer aujourd’hui. », concède Philippe Hosotte.

Sans COV, ni perturbateurs endocriniens

N’empêche. Cromology persiste et signe. Avec la marque Suisse Montana, et pour sa gamme Top Sensi’pure, le groupe a formulé une autre peinture cette fois taillée pour entrer dans les critères ultra-draconiens du – encore peu connu – label Safelife. Du coup, cette gamme revendique un impact nul sur la santé. Elle a évincé de ses pots allergènes, conservateurs, biocides, solvants, émissions de substances nocives dans l’air et même perturbateurs endocriniens… Soit près de 250 substances potentiellement dangereuses pour la santé. « Dans la peinture, c’est nouveau d’intégrer un label plutôt connu du grand public pour les détergents, liquides vaisselle ou la cosmétologie », dévoile Philippe Hosotte. Avec ces gammes marquées TÜV ou Safelife, « nous répondons à une demande en faisant le pari qu’elle va être plus importante », avance Thierry Jeannette. « Elles s’appuient sur des certificats accessibles d’une part, et compris du grand public d’autre part. Et ce n’est pas du marketing. Ces fabrications créent d’importantes contraintes en usine. Les matières premières doivent être purifiées avec un process maîtrisé, sans biocide, et une mise en hygiène stricte de notre site de production ».

Biosourcé : avant tout environnemental

Quid du biosourcé dans ce contexte ? Car de nombreux consommateurs voient aujourd’hui cette notion comme un Graal, étant conditionnés par le discours de l’industrie alimentaire selon lequel un produit bio serait meilleur pour la santé. Côté peinture la confusion s’installe. Or, comme l’affirme Philippe Hosotte, « rien ne prédispose une peinture biosourcée à être plus favorable pour la santé des utilisateurs ou des occupants de locaux. Elles sont d’abord formulées pour limiter la cadence de la dégradation de nos ressources fossiles »… En attendant une rentabilité de la chimie végétale mécaniquement programmée face à la hausse du coût du pétrole. Mais, le biosourcé rime-t-il avec bon pour la santé ?

« De fait, toutes nos peintures présentent un faible taux de COV », précise Karine Giner. Mais il y a aussi l’échéance RE 2020 et son impact carbone. « A l’image de notre gamme Phylopur composée de résine végétale biosourcée à 97 %, ces produits à faible impact carbone apportent ainsi une réponse globale. Le biosourcé est l’étape d’après de l’industrie de la peinture », abonde la chef de marques Seigneurie, Marketing Marques et Distribution chez PPG. Mais Patrick Verlhac précise « faibles émissions de COV et chimie végétale ne doivent pas être confondues ». Reste que face à cet enjeu RE 2020, « le biosourcé a le vent en poupe. En collaboration avec la Fipec, l’Ademe et le ministère de la Transition écologique, notamment, nous construisons un cahier des charges du biosourcé en peinture pour répondre aux appels d’offres publics. Demain, de plus en plus de bâtiments devront avoir un taux minimum et maximum de biosourcé avec des mesures réelles de valeur ». Mais pourquoi parler de biosourcé quand il est question de santé des occupants des bâtiments ?

Peinture biosourcée à faible émission de COV

Parce que chez Unikalo, avec la chimie végétale pour credo qui se traduit notamment dans la désormais célèbre gamme Naé, le biosourcé rime aussi avec préservation de la santé : « Bien sûr, avec notre peinture active Aquaryl Inspir, nous proposons une solution qui absorbe les formaldéhydes. Mais notre politique est d’abord d’éviter de polluer un site avant de chercher à le dépolluer, appuie Fabrice Santamaria. Nous développons donc des peintures biosourcées, qui sont respectueuses de la santé des gens qui l’appliquent et de ceux qui y vivent ou y travaillent ». Cette peinture va de pair avec la notion de faible impact sur la santé des occupants, « parce que la chimie végétale qu’Unikalo a choisi apporte une formule stable en réduisant considérablement le taux de conservateurs. Donc l’exposition aux COV, avec exactement les mêmes performances qu’une peinture traditionnelle », continue sibyllin, le directeur développement et bâtiment durable d’Unikalo. Car bien sûr, les secrets de formulation seront tus.
« Aujourd’hui, le nombre de fabricants capables de formuler des peintures biosourcées qui polluent et émettent moins se comptent sur les doigts d’une main, et ce marché est encore naissant ». Biosourcé, faibles émissions de COV, le discours est toujours en phase d’explication…

Des niches pourtant appréciées

Exempts de toutes substances cancérogènes ou de perturbateurs endocriniens, issues de la chimie végétale, sans COV, ou encore à fonctionnalités avérées en matière d’assainissement de l’air intérieur, toutes ces peintures qui prennent en compte la santé des occupants s’appliquent encore dans des niches. « À l’image de notre gamme avec capteurs de formaldéhydes pour dépolluer l’air intérieur Elyopur, ce marché encore méconnu se développe, abonde Karine Giner. Il est vrai qu’en dépit des outils mis à leur disposition, les peintres, en particulier les artisans, sont encore peu prescripteurs contrairement aux clients finaux de plus en plus sensibles. Ces peintures répondent aussi à des critères environnementaux, dans des projets d’ampleur HQE, LEED ou BREEAM. Or, ces certifications aussi intègrent le paramètre de très faible teneur en COV ».

La santé un vrai marché ? En tous cas chez Onip on y croit. L’industriel a déjà constitué un réseau de peintres dépollueurs. « Ceux engagés dans cette démarche peuvent ainsi mieux parler de qualité de l’air intérieur. De plus, cette peinture s’applique comme une peinture classique. L’effet est vraiment spectaculaire », affirme Patrick Verlhac. Et parce qu’il n’y pas que la peinture qui développe des solutions capables de préserver une meilleure qualité de l’air intérieur, « dans le neuf, les bâtiments sont déjà extrêmement sains, continue le directeur technique d’Onip. Là où il faut désormais agir c’est dans l’ancien ! ». Et encore plus aujourd’hui.

Se former pour mieux accompagner

Justement parce que « la crise sanitaire a focalisé les gens de manière générale sur leur santé. Nous nous attendons donc à des répercussions sur les produits et les besoins exprimés par les consommateurs. Ils vont être de plus en plus prescripteurs de solutions idoines auprès de leur peintre professionnel », reprend Philippe Hosotte. « C’est vraiment une grande opportunité. Il existe encore pas mal de confusions auprès du grand public pour savoir quels critères doivent être pris en compte. Or, naturellement le peintre sera écouté par son client. Moyennant un petit effort de formation, il peut l’éduquer, et avec les bons arguments proposer la solution adaptée au but recherché ».

Reste que chez les peintres, la révolution est encore à faire. « La chimie de la peinture a déjà eu du mal à les faire passer du solvant à l’eau, se remémore Fabrice Santamaria. Aujourd’hui, certains professionnels s’interrogent encore du résultat sur un mur peint sans caséine ». Mais c’est sans compter sur la nouvelle génération : « Elle a compris qu’il était important d’éviter de respirer des COV dès l’application de la peinture. Elle va donc chercher des solutions. Nous avons déjà de nouvelles formulations dans les cartons, portées par cette préoccupation de la santé des occupants dans les bâtiments », dévoile le directeur développement et bâtiment durable d’Unikalo. « Elle est devenue un facteur clé dans les décisions d’achat depuis l’alimentaire jusqu’à la manière d’habiter », et de mettre en peinture les bâtiments.

Source : Reflets & Nuances n°189, pages 33 à 38.

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