De Paris à Marseille en passant par l’Alsace, les goûts diffèrent. Parce que l’architecture française est riche de ses identités régionales et des souhaits de chacun, en dépit d’une uniformisation des styles, lissés par les magazines de décoration et les réseaux sociaux. Du coup, dans ces trois coins de l’hexagone, en matière d’association sol et murs, certaines tendances émergent.
« La peinture en décoration joue un grand rôle dans les espaces ouverts : salon, salle à manger, cuisine afin de les rendre harmonieux. Elle est le fil rouge de la décoration, représentée en force devant le papier peint », note Philippe Demougeot, architecte à Paris (11e arrondissement). Et avant d’envisager une association sol et murs, Virginie Monroe, décoratrice associée à Rodolphe Roletto, architecte DPLG, au sein de l’agence Nouvelle Maison Studio à Marseille (4e arrondissement), tient à rappeler : « il faut prendre le temps pour qu’un projet ressemble aux clients, à leur caractère, leurs habitudes, leur manière de vivre… De plus, nous sommes influencés par des modes et nous assistons à une certaine uniformisation des goûts à cause des réseaux sociaux. Mais le grand principe en décoration reste celui de respecter les matériaux ». Du coup, difficile pour ces créateurs de dégager des règles quant à un mariage réussi sol et murs, tout en acceptant de se prêter au partage d’expériences.
Personnalisation pour lieux à vivre
Covid et confinement ont changé la vision du chez soi. À Paris, Philippe Demougeot constate, « une moindre envie d’un intérieur calqué sur les magazines de décoration. La réflexion des clients est plus profonde, plus conforme à celle de l’architecte en valorisant lumière naturelle, circulation intérieure et intimité ». À ces consommateurs moins fashion victim, s’ajoute le télétravail générateur d’attentes plus précises. Désormais « l’intérieur est moins un lieu de représentation qu’un lieu où on vit. Beaucoup ont rencontré des soucis pratiques de rangements, de vivre ensemble, de possibilité de travailler à la maison », continue Philippe Demougeot.
Cap alors sur la personnalisation poussée pour répondre à ces quêtes, même si en principe, « personne n’a envie d’avoir l’appartement ou la maison de tout le monde », appuie Virginie Monroe. Avec pour arme la peinture, sa capacité à mettre en couleur, « et l’émotion qu’elle procure à ne pas négliger. Au-delà du décor, elle permet d’éliminer ce qui pollue le regard, simplifie les gestes du quotidien grâce à un agencement esthétique et fonctionnel ».
Traiter sol, murs, espaces à part entière
Pour rompre la monotonie, l’architecte marseillaise recommande « de créer un décor aux ambiances différentes d’une pièce à une autre, comme autant de capsules pour façonner ensuite un tout dans un ensemble harmonieux ». À éviter par exemple, une enfilade de même couleur : « l’important est de révéler la fonction de chaque pièce. L’harmonie dans la globalité peut passer par exemple par l’utilisation d’un camaïeu », conseille Virginie Monroe. La bonne association sol et murs se révèle alors à condition, « d’assumer le mur comme un mur et le sol comme un sol, souligne Philippe Demougeot. L’idée étant de ne pas rester dans les mêmes tons ». Une belle tommette rouge à Marseille sera la force d’un décor appelant à la neutralité des murs. Quant à Paris où les appartements parisiens sont souvent revêtus « de bois ou de carrelage neutre, tout est permis pour le choix de teintes aux murs, sans tomber non plus dans l’addition de couleurs criardes qui ne fonctionne pas », avertit Philippe Demougeot.
Vers un retour de la moquette ?
Reste que dans cette envie d’assumer le sol comme un sol, l’architecte parisien regrette, « la mauvaise image dont souffre encore la moquette alors qu’elle est intéressante pour traiter l’acoustique, créer une ambiance feutrée soulignée par des textiles, des murs aux teintes chaudes, comme dans un véritable cocon ». Parfois, Philippe Demougeot dégaine une alternative, « le Bolon qui apporte une vraie fantaisie et du caractère dans une chambre tout en étant plus acoustique qu’un parquet ».
Mais parce que les tendances en matière de décoration ne se valent pas partout, à l’Est, Guy Kleinmann, à la tête de Kleinmann Peintures Décors à Brumath (67) note lui un retour de la moquette. Elle est portée par l’envie de douceur et parce qu’il met aussi en avant son capital… Santé. « J’avais du mal à en vendre. Mais contrairement aux idées reçues, une moquette est plus adaptée dans une chambre pour des personnes asthmatiques. Elle fixe les poussières alors que les revêtements durs les maintiennent en suspension dans l’air ambiant », explique le peintre alsacien. « Appréciée pour son acoustique, elle revient mais en laine et avec des couleurs naturelles associées aux murs à des teintes douces ». Une tendance au naturel, parmi d’autres, « car une décoration intérieure obéit aussi aux goûts de chaque client, rappelle Virginie Monroe. De manière plus pointue, on voit aussi émerger l’ultra-pop, les années 80, les couleurs audacieuses ».
Reste que de Paris à Marseille en passant par l’Alsace, ce retour au naturel s’offre en partage.
Parquet chaleureux et enduit à la chaux
Côté sol, « le parquet bois très miel, supplante le stratifié, les teintes grisée et taupe plus artificielles », note Guy Kleinmann. Et se retrouve aussi dans le Sud comme le détaille l’architecte de la Cité phocéenne : « ces parquets massifs s’associent avec des enduits à la chaux dans ce cas accentués avec le lin, la pierre, le bois dans un esprit nature, très luberonnais », mais aussi alsacien.
Thomas Cronimus, gérant de Toma Peinture à Hoerdt (67) a fait une spécialité du naturel et des produits non nocifs pour la santé: « Nous réalisons énormément d’enduit à la chaux, à la demande du client qui veut un produit sans pétrole, ni COV, et fabriqué à partir de notre recette ». Un fait maison à succès, idéal pour résonner avec des revêtements de sol nobles. Pour ce Meilleur ouvrier de France, « ce mouvement est pour nous une valeur ajoutée. Les enduits à la chaux s’envisagent aussi dans des couleurs franches comme des kakis grâce à la qualité des éclairages mieux étudiés qu’il y 15 ans. D’ailleurs, dès que nous réalisons un décor nous les retravaillons car sans éclairage, même la plus belle des couleurs ne sera pas révélée », ajoute Thomas Cronimus.
À Paris, si l’audace est juste en choisissant une teinte vive aux murs, selon Philippe Demougeot, « le respect d’un sol tel qu’un beau parquet bois passe par un environnement neutre, une couleur timide, raffinée qui valorise la lumière ». D’où l’émergence de nuances de blancs qui s’apparentent à la pierre, beige et coquilles d’œuf « des tas de marques proposent des nuanciers idoines pour aussi peindre des plafonds autrement qu’en blanc mat », conclut poursuit Philippe Demougeot. Et l’harmonie est totale en les traitant aussi du même ton dominant que celui des murs. Pour un intérieur résolument cocon, du sol au plafond.
Source : Reflets & Nuances, n°185, p. 37-39.